dimanche 22 mai 2011

Les Bienveillantes

J'étais à la 988ème page du roman de Jonathan Littell quand mon maitre à penser, mon père spirituel, mon défricheur de sentier, mon Dieu a évoqué le livre en y faisant les rapprochements que je voulais faire.

J'ai lu ce livre en écoutant majoritairement un famous jew.
Ça me semblait de bon aloi.

Ce livre est non seulement une brique (1390 pages chez Folio) mais il est aussi immense.

De par cette étude de l'obéissance, couteau qui égorge la volonté de l'homme.

Littell raconte du point de vue rétrospectif de Maximmilien Aue, un fonctionnaire nazi qui gagne en grade, l'histoire de l'intérieur de ces allemands durant la seconde guerre mondiale convaincus (pas tous) de faire la bonne chose, et qui doivent accepter leur devoir de la même manière qu'Abraham accepte le sacrifice inimaginable de son fils tel qu'éxigé par Dieu. Chevaliers de la foi qui doivent sacrifier non seulement leurs fils mais aussi et surtout leurs idées éthiques. Ils doivent consommer le sacrifice d'Abraham.

Raconter la guerre du point de vue du bourreau, ça c'est déjà vu chez Tournier, chez Merle, chez Barbe, chez Hatzfield, chez Sémelin. Mais de manière aussi crue, aussi précise...

Il n'y a pas de gants blancs dans Les Bienveillantes. Des tripes d'enfants sur le trottoir, des corps sans tête, des nazis qui se masturbent les uns aux côtés des autres dans un lit réservé à cet effet, des morts à coup de hache, rien n'est épargné.

La sexualité même de Max Aue est particulière. Incestueux de sa soeur jumelle, homosexuel qui a besoin de branches d'arbres ou de saucisses afin de soulager son anus, le désoeuvrement est à son comble dans l'avant dernier chapître de cette valse de la dérive mentale.

Car tous les chapîtres sont titrés de nom de danse connues du 18ème siècle, Toccata, Allemandes I et II, Courante, Sarabande, Menuet (en Rondeaux), Air, Gigue.

 D'une précision chirurgicale, Littell place un personnage qui n'a pas existé au milieu de Stalingrad, la Caucase, Berlin mais surtout au coeur de l'histoire, vraie celle-là, de la seconde guerre mondiale. Ainsi nous cotôyons de réèls vrais intervenants de ce conflit majeur.

Brasillach, Rebatet, Cousteau, Heydrich, Eichmann, Himmler, Speer, Kaltenbrunner, Bierkamp, Ohlendorf, Hess, Globocnik, Blobel, Ernst Jünger, Mengele, la martyr soviétique pendue Zoïa Anatolievna Kosmodemianskaïa qui est la genèse de ce livre travaillé pendant plus de dix ans et Adolf Hitler lui-même dans une scène hilarante à la toute fin impliquant un nez trop peu aryen.

La recherche de Littell est si précise qu'elle pourrait nous faire croire que Aue a bel et bien existé. Donnons-nous encore 50 ans, et tout comme The King's Speech*, on finira par croire que Aue était vrai.

Ce qui l'était toutefois c'était ce peuple convaincu de sa suprémacie Aryene et qui l'expliquait entre autre par le fait qu'aucun de ses voisins ne le nommait de la même manière. Allemands, Germans, Duits, Tedeschi, Tuits, Niemsty, Deutschland. Il s'agit du seul nom de pays d'Europe qui ne soit pas dérivé d'un endroit géographique, qui ne porte pas le nom d'un lieu ou d'un peuple comme les Angles ou les Francs."Deutsch" est une forme adjectival vieillie du mot  "peuple".

 Littell est tout simplement bouleversant dans ses écrits. C'est une ironie malsaine mais réfléchie que ses mots dans la bouche de Himmler qui dit, outré en parlant des anglais de Churchill, "Tirer sur de civils sans discrimination, nous les puniront pour crimes contre l'humanité après la guerre!"

Les propos sont durs (sur les juifs)"Cette race radicalement inférieure prédisposée à la corruption bolcheviste, au vol, au meurtre et à toutes sorte d'autres manifestations néfastes"

L'espoir allemand est naif. "Un jour l'histoire jugera que nous avions raison."

.L'homme n'est pas naturellement bon, ni naturellement mauvais non plus. Le bien, le mal sont des catégories qui peuvent servir à qualifier l'effet des actions d'un homme sur un autre; mais elles sont foncièrement inadaptées, voire inutilisables pour juger de ce qui se passe dans le coeur de cet homme. Parlez en à ce cardiologue de chez nous. Il avait bien dit "tu veux la guerre, ben tu vas l'avoir"

En temps de guerre il est juste de tuer l'ennemi de son peuple. (Demandez aux soldats des États-Unis). Ce parcours idéologique dont la solution du meurtre ouvre tour à tour de nouveaux abîmes nous présente le schéma d'un déséquilibre.

La cruauté du souvenir, la tristesse et la peine, la douleur de la vie et la mort de l'existence morale.

Dans Schindler's List, Thomas Keneally et Steven Zaillian font dire à Schindler qui discute affaires avec Goeth "one day this is all gonna end".


Lui parlait de la guerre.
Nous pourrions dire la même chose de nos vies.

Ce livre laisse des traces.
Rattrapées par des Bienveillantes.

*Le discours final anti-nazi dans le film The King's Speech, bien que touchant, n'a jamais eu lieu dans cette "histoire inspirée de faits réèls". Mais d'ici 100 ans je suis convaincu que l'on croira que c'est vraiment comme ça que le handicap du roi George VI fût moralement et hétoïquement surmonté.

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