mercredi 3 août 2011

Rodrigue la Bouette

Ce devait être les années 90.

Le tout début des années 90 car j'habitais Québec et je devais donc être en secondaire 5 ou au Cegep.

Le génocide en Somalie était commencé et comme le reste de la planète on s'en sacrait. Pas autant qu'on le ferait face au Rwanda mais on ne s'en souciait guère. Jeunesse oblige.

Rod Stewart faisait un arrêt dans notre modeste Colisée pas encore associé à de la boisson gazeuse. Les Nordiques existaient encore. Souvent les artistes, dû à l'emplacement géographique de la province à tête de chien commençaient leurs tournées en Amérique par la ville de Québec. Une toute petite ville où on pouvait "casser" le premier show et faire tous les tests de tournée nécéssaires.

Bryan Adams, Billy Idol, Bon Jovi, Roger Waters, Robert Plant, David Bowie dont un écran révolutionnaire montrant Louise Lecavalier, Edourard Locke et Bowie dans des chorégraphies Lalala Humanstepiennes n'avait fonctionné que pour la première moitié de son spectacle Sound & Vision, avaient tous commencé leurs tournées chez nous.

Rod Stewart nous avaient fait piocher dans notre "argent de brosse" pour de bons billets bien placés. Des filles de notre groupe d'amis voulaient le désirer de près. La moitié de la gang des chevaliers de la cannette s'étaient procurés des billets. L'autre moitié de la gang, sentant qu'elle manquait une bonne occasion, avait choisi à la dernière minute (le soir même si je ne me trompe pas) de se trouver des billets pour assister au spectacle. Nécessairement loin de nous et plus haut dans les gradins. Le téléphone cellulaire était rare et avait la taille d'une pinte de lait à l'époque. Personne d'entre nous ne s'embêtait de la chose. Zéro communication entre les deux groupes pendant le spectacle.

Rod, que nous n'aimions qu'en greatest hits mais que nous aimions quand même, nous avait offert une performance ordinaire. Visiblement axée sur un pouvoir de séduction déjà ancien. Un style pour "meudame". Fair enough, on aurait dû le flairer.

Ce qui allait suivre allait toutefois moins bien passer.

Le Colisée était à moitié rempli. Mes parents avaient deux ou trois ans de plus que moi aujourd'hui et étaient aux prises avec des grands ados au seuil de la vingtaine. Le public cible de Rod Stewart était fatigué et ailleurs. Dans une ville de boomers, l'équipe de Rod croyait attirer ceux-ci mais ils étaient peu nombreux au rendez-vous.
La faible foule et surtout les réactions molles d'un public plus ou moins en forme face à un artiste plus ou moins en forme aussi a affecté Rod Stewart. Au beau milieu du spectacle il s'en est confessé au public:

"You know, I never wanted to be here, my manager forced me to stop in your city..."

Quelques huées ont richoché à gauche et à droite mais le niveau d'anglais des habitants de Québec est étonnament mauvais et ce n'est pas tout le monde qui a saisi son commentaire. Son accent écossais n'aidant en rien les oreilles non initiées.

Refusant de prolonger le calvaire plus longtemps, à la fin, Stewart n'a pas fait de rappel, livrant quand même quelques hits attendus, et avait quitté la scène à la fin en lâchant un tristement afable:
"Thanks for your time and money"

Quelques huées isolées ont encore accompagné sa sortie.

Sans communication entre les deux factions lors du spectacle, le lendemain nous étions toutefois réunis dans l'amertume. Rod the Mod devenait Rod the Mud. On allait garder notre blé pour se saoûler la prochaine fois.

Je ne m'attendais donc pas à ce que Rod revienne dans le 418 de sitôt.

Beau coup de maître donc, de la part de Sylvie Girard et de la ville de Lévis, d'avoir réussi à convaincre l'écossais à la voix unique de venir chanter peur eux dans le cadre des festivités du 150ème de la ville. L'effet McCartney y est certainement pour quelque chose. Les boomers, de plus en plus en mode loisirs dans cette région, a aussi beaucoup aidé au succès de l'opération.

Toutefois je n'ai pas pu freiner un léger rictus quand j'ai entendu l'organisatrice de l'évenement qui répondait candidement, sinon naivement, à la question:
"Rod Stewart a-t-il aimé son expérience?"
Question bête si il en est une car de quel type d'expérience parle-t-on au juste? le gars a peut-être plus de 1500 shows derrière la cravate...

Sylvie Girard a répondu:
"Oui il a tant aimé qu'il n'a pas voulu faire de rappel et a joué tous ses morceaux les uns à la suite des autres à la toute fin, sans quitter la scène..."

er...
Ou si vous préférez: "il n'a pas fait de rappel"
Trop préssé peut-être, d'aller compter son argent.

Bravo quand même aux organisateurs d'avoir réussi à mettre la bête dans leur filet pour la population de Lévis et des environs.

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