mardi 27 décembre 2011

Holden Caulfield aurait 78 ans

Holden Caulfield a changé ma vie.

J'ai lu l'histoire de J.D.Salinger pour la première fois quand j'avais le même âge que le narrateur. Expulsé de deux écoles, refusé par l'ensemble des écoles de ma région pour "dossier disciplinaire chargé, attitude non-récupérable" j'étais un sérieux problème. Premièrement pour ma famille, dont j'étais l'ainé qui montrait une bien drôle de voie à ses deux soeurs, deuxièmement parce que j'avais d'excellent résultats scolaires. Ça brouillait toutes les statistiques. Trois fois en 1986, alors que mon école secondaire m'expulsait parce que j'avais des retenues jusqu'à la fin de l'année et que plus rien n'y faisait, d'autres écoles m'acceptaient d'emblée sur la base de mes résultats scolaires pour ensuite revenir sur leur décision découvrant l'épais dossier disciplinaire qui accompagnait le bulletin. Je ne me rapelle plus du tout comment ce livre m'était tombé entre les mains. Me l'avait-t-on placé stratégiquement devant les yeux? Je ne sais trop. Mais ce livre a tant eu d'échos sur ma personne que je suis devenu le nerd modèle par la suite. Qui sait se taper du bon temps mais qui le fait intelligemment. En ne négligeant jamais l'enfant en soi.

La deuxième fois que je l'ai lu j'en étais à ma seconde année de vie en appartement à Montréal dans les années 90. Mon co-loc avait la version française traduite d'Annie Chaumont avec le terrible titre. Sur le coup je n'avais même pas compris qu'il s'agissait du même livre. Je l'avais commencé parce que c'était le même auteur que j'avais tant aimé la première fois. En découvrant soudainement que c'était ce fameux livre que j'avais tant aimé.
En franchouillard. Ça craint, mec. Je te pète à la tronche. Ça me tue.
À l'aube d'un séjour universitaire aussi errant que le fûrent mes années scolaires précédentes, le livre frappait toujours aussi fort.
I was Holden.
Holden was J.D.

Puis j'ai lu sur J.D. et j'ai bien vu que je n'avais rien à voir avec lui. Mais que J.D. était bien Holden Caulfield. Et que Caulfield avait tout de même des traces de ma personalité.

Quand Salinger a écrit ce livre, il ne cachait à personne qu'il écrivait une histoire largement autobiographique. Fraichement sorti de la guerre, J.D. Salinger, qui fût parmi les premiers à découvrir les chambres d'éxécution des juifs et qui fût très impliqué dans presque toutes les facettes de la guerre, s'était battu avec les autorités de l'armée afin de ne pas revenir en Amérique avec la mention "mentalement traumatisé, doit retourner au pays". Ce qui était pourtant la vérité.

Il avait son personnage d'Holden Caulfield bien en tête en 1945. Holden c'était lui. Il a d'ailleurs refusé des centaines de fois l'idée d'adaptation cinématographique ou théâtrale de son fameux roman parce qu'il considérait qu'il n'y avait que lui pour le jouer.

Dans Catcher in the Rye les nazis sont remplacés par les "phonies" en tant qu'ennemis officiels. Ils ont le même talent pour détruire des vies et faire s'effondrer des systèmes nerveux. Les champs de bataille n'existent plus mais Holden fait appel à son frère mort de la leucémie, Allie, alors qu'il se sent mentalement couler. Comme Salinger le faisait en se rappelant ses frères morts au combat durant la seconde Grande Guerre.
Holden Caulfield était terrifié de savoir qu'il pourrait peut-être ne pas survivre à l'autre côté de la rue qu'il tentait simplement de traverser vers la fin du livre. Salinger s'est enfermé dans sa maison sur la colline en hermite toute sa vie. Lui aussi était envahi d'angoisses.

La lente descente inconsciente vers la dépression d'Holden Caulfield se déroule en décembre 1949. Il a 16 ou 17 ans. Il vient tout juste de se faire expulser de son école. C'est le congé de Noël et son dossier est si lourd, qu'il quitte pour les vacances mais ne reviendra pas à cette école. Il partira en cavale à New York avant que ses parents ne soient mis au courant de ses problèmes. Non pas sans aller voir sa jeune soeur, incognito dans la nuit, avec laquelle il a de précieux rapports. Rapports qui deviendront fétiches et qui auront des échos jusque dans la vie privée de l'auteur lui-même. Le livre traite de solitude, de résistance, d'amertume, de peurs. De moi.

De plus, Salinger ressemble physiquement terriblement a mon père, plus jeune.

Holden Caulfield aurait-il pu avoir 25 ans? Se dirigeaient-ils vers la mort? Oui, nous nous dirigeons tous vers la mort mais certain prennent des raccourcis sans le savoir. Les hippies auraient été les "phonies" de Caulfield dans les années 60-70. Dans Catcher in The Rye il ferme plus de portes qu'il n'en ouvre. L'avenir de Caulfield aurait été aussi difficile, sinon plus difficile encore, que ses errances hivernales de décembre 1949.

Il aurait en décembre 2011, 78 ans. Il fréquenterait peut-être encore les bars de New York. En culbutant mentalement telle une sécheuse en folie, toutes les récriminations qu'il a contre les nouveaux phonies de 2011 selon lui. Les Indignés d'Occupy Wall Street, les accrocs de la techno, les filles qui se prennent en photo pour Twitter ou Facebook, les gens qui ont des chirurgies plastiques.

Il serait plus noir encore. Il serait peut-être lui aussi, là-haut, caché dans un manoir.

Il serait peut-être mort. Tout ce qui le tuait en 1949 lui aurait peut-être été fatal deux ou trois ans plus tard.
Avant ses vingt ans.

Si il avait bu son urine comme son créateur (!!!), Holden Caulfield aurait pu peut-être se rendre à 91 ans comme lui.

Peu importe moi Salinger il m'a donné de l'élan.
Et ce livre je le relis avec le même bonheur à tous les 10 ans.

Gin a body meet a body
Comin thro' the rye,
Gin a body kiss a body,
Need a body cry?*

*fragment du poème de Robert Burns, inspiration du titre original pour Salinger/Caulfield.

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