lundi 2 juillet 2012

La Noyée

Pendant que le métro de Montréal s'enfumait en mai,  tout en appuyant très fortement le mouvement étudiant dans la grève, je poursuivais discrètement en soirée une session d'été afin de faire progresser plus rapidement mon second certificat en traduction*.

Dans un de mes cours, une enseignante que j'avais déjà eu dans un autre cours, une horreur, qui ne traduit plus depuis 17 ans mais qui se permet de critiquer toutes nos traductions avec des arguments aussi étoffés que "non". Comme nous étudions le moteur et son fonctionnement, ce qui menaçait ma survie (dans la mesure où on peut mourir d'ennui ) mon attention s'est vite portée sur les élèves.

En fait pour dire vrai, c'est plutôt l'attention d'une élève qui s'est portée sur moi. Une femme de mon âge, qui se tenait devant la classe (étant arrivée (calculeé?) en retard au premier cours), qui se tournait régulièrement en ma direction et qui, au bout du compte, a fini par se déplacer de cours en cours pour se placer, au troisième cours, directement à mes côtés. Elle me rappelait quelqu'un. La trouvais-je jolie? Était-ce la raison pour laquelle je la regardais aussi longtemps qu'elle me regardait? pas vraiment. Si elle flirtait, pour ma part je me demandais simplement où l'avais-je déjà vue. Ou qui me rappelait-elle. Pas qu'elle était laide, au contraire c'était même une très belle femme mais sa manière de bouger, sa manière de se présenter, sa manière d'intervenir en classe, sa manière de vouloir capter l'attention m'agaçait. Je ne sentais pas que je devais lui accorder plus d'attention qu'elle n'en méritait vraiment. Elle m'a adressé la parole en premier avant un cours un soir:

"Hey! Hunter Jones...tu te souviens de moi?"
Comment savait-elle mon nom, jamais l'enseignante ne nous avait identifié publiquement encore. Pour les mêmes raisons je ne savais rien du sien.

"er...oui...on se connait?"

"Secondaire 1 et 2...St-Charles Garnier, Québec..."
Elle parlait lentement, comme sur la défensive, définitivement en mode flirt. C'était une belle fille mais bon...

"Oui...j'ai bien fréquenté cette école...on y était ensemble au même moment?"

Elle s'est contenté de sourire. Un sourire resplendissant qui lui donnait un charme certain, un sourire qui me propulsa en 1984 à Québec...

Je fréquentais alors un Collège qui depuis 1634, n'accueillait que des garçons. Toutefois quand j'arrivais en secondaire 1, ce collège reçevait depuis un an seulement des filles dans ses classes. Ce qui fait que dans nos cours, le réflexe parental d'inscrire des filles comme élèves à cette école n'étant pas encore naturel, il n'y avait qu'entre 2 et 4 filles. Sur 5 classes ceci faisait tout juste une quinzaine de filles. Pas 20 en tout cas. Inutile de vous dire qu'on les connaissait toutes et les avions étudiées sous toutes leurs coutures en tant que potentielles amoureuses. Belles ou laides, elles étaient reines et avaient beaucoup d'attention. Certaines, jugées "belles" par nous ne l'étaient en réalité que par procuration. Elles étaient simplement moins effrayantes que les autres.

Elsa, était de loin la plus jolie. Elle avait le cheveux blond et ce sourire qui pouvait assassiner un homme, du moins le faire fléchir et tomber à genoux. TOUS les garçons, hétérosexuels, désiraient la fréquenter ailleurs que dans les classes de cours. Sans être nécessairement la plus populaire ni la plus brillante, elle s'aquittait très bien de sa tâche de beauté scolaire et vivait très bien avec toute l'attention qu'elle suscitait. Mon manque de désir compétitif à ce niveau me l'a rendu moins intéressante. Je ne cherchai jamais à m'en approcher outre mesure. Un soir de party au Concorde, je la voyais embrasser un de mes bons amis sur Cherish, puis plus tard, un autre de mes bons amis sur Heaven. Comme je ne tenais pas vraiment à être le suivant, si j'avais déjà eu un intérêt pour elle ça se terminait avec cette excès de générosité bucale de sa part.

Nous n'avions en fait aucune relation whatsoever. La seule fois que nous nous sommes adréssés la parole c'était par pur hasard et l'échange, étant tout ce qu'il y a de plus négligeable, n'avait donné naissance à aucun suivi amical. Je faisais du vélo dans le vieux-Québec, et autour du Grand Théâtre, J'entendis un "Hey!" presque masculin. Je levai la tête et c'était Elsa, splendide avec sa couette blonde de tombée sur les yeux, assise négligeamment dans l'embrasure de la fenêtre de chez elle, de chez son chum, de chez un(e) ami(e) je ne l'ai jamais su. Elle était à peu près au niveau du cinquième étage d'un immeuble à condominium de la rue St-Amable. L'échange avait été celui-ci.

"Salut" lui avais-je dis débarquant de mon vélo.
Un ange passa.
"Qu'est-ce que tu fais?" m'avait-elle demandé de la fenêtre.
"Bin...je prends mon bain dans de la mousse au chocolat ça ne se voit pas?" lui avais-je répondu. Je ne sais trop si c'était pas fantasme projeté que j'avais spontanément dit ceci mais la réplique du balcon de Roméo à sa Juliette ne m'était pas venu à l'esprit. Et de toute façon :
"CRAPULET! SI TU NE VIENS PAS À MONTAIGUE, MONTAIGUE IRA À TOI!" ne l'aurais peut-être pas réèllement touchée. Peu importe ma réplique ne l'avait pas fait rire non plus, elle me regardait comme on regarde un animal bléssé sur le bord de la route.
Elle avait fermé toutes les portes en me congédiant avec un dernier "salut!".

J'avais repris ma route à vélo.

Jamais plus allions nous nous adresser la parole. Et ce, même si je tombais follement amoureux dès l'année suivante de sa meilleure amie qui portait l'exotique prénom de Mirabo.

C'était 1985. Jamais plus allions nous nous adresser la parole avant le 10 mai 2012. Et là, quarantenaire et maintenant en brune, c'était avec un autre "hey" qu'elle m'accueillait dans un cours de l'U de M, 273 km plus loin et 27 ans plus tard.

Elle m'a beaucoup parlé me disant que j'avais changé avec un joli sourire ce que je pris comme un compliment. Elle a cherché à en savoir davantage sur moi, trop, et elle s'est surtout beaucoup révélée me parlant de son ex à tout vent. Je ne sais pas pour vous mais j'ai horreur du mot "ex". Je trouve que c'est un mot qui valide trop facilement l'échec et le rend plus acceptable. J'ai un peu honte du mot "ex" quand vient le temps de parler des affaires du coeur. Je ne l'utilise jamais. Elle me parlait beaucoup de ses affaires du coeur. Elle me paraissait desespérée. C'est son invitation à participer à son anniversaire la semaine suivante qui me l'a confirmé. On aurait pu se rappeller de bons souvenirs communs mais voilà...nous n'avions pas de passé commun...et elle me semblait toutefois vouloir préparer un futur commun.

Près de moi comme ça, elle me paraissait très "usée" par la vie et pourtant elle avait mon âge. Elle semblait être restée dans un univers adolescent. Comme noyée dans la vanité qui la faisait reine en 1984/1985.

Une reine déchue qui tentait de se réinventer au meilleur d'elle-même. Comme on tente tous de se réincarner soi-même à 40 ans. Fair enough.

Phénomène rare, je ne mordais pas à son petit jeu de flirt. Il y avait trop de tristesse dans tout ce qu'elle projetait. J'ai passé ma session avec elle et on a très peu échangé. Comme en 1985. Quand elle a senti que je gardais mes distances tout en restant poli et amical, elle m'a trouvé plus inintéressant. Elle s'est mise à flirter avec un autre qui accueillait ses commentaires immatures et ses jeux de cils mieux que moi.

Aujourd'hui c'est l'inverse qu'au Collège à l'époque. C'est dans mes classes de traduction que nous ne sommes que 4 ou 5 garçons pour 25 filles.

Celle-là m'apparaissait trop noyée pour me donner envie de nager à ses côtés.

 "Salut!" lui ai-je dis à la fin de la session.
La congédiant en fermant du même coup toutes les portes.

*Ma faculté votant contre la grève dès le départ de toute façon

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