jeudi 26 juillet 2012

L'Opéra de Quat' Sous

En 1716, le génie Jonathan Swift écrit au non moins brillant Alexander Pope:

"Que diriez-vous, d'une pastorale qui se déroulerait à Newgate parmi les voleurs et les putains qui s'y trouvent? ».

Leur ami John Gay prend connaissance de cette question et décide d'en faire, non une pastorale, mais un opéra satirique. Pour sa production originale de 1728, The Beggar's Opera, il tient à ce que toutes les chansons soient chantées sans aucun accompagnement, ajoutant par là à l'atmosphère choquante et âpre qu'il avait en tête.

Cependant, une semaine avant la première, John Rich, le directeur du théâtre, insiste pour que Johann Christoph Pepusch, un compositeur avec lequel son théâtre travaille régulièrement, écrive une ouverture à la française en bonne et due forme, ainsi que des arrangements pour les 69 chansons.

C'est en hommage à L'Opéra du Gueux (en français) que l'auteur allemand Bertold Brecht, exactement 200 ans plus tard, écrira L'Opéra de Quat'Sous. Il écrit le personnage de Mack The Knife inspiré à la fois par le personnage de MacHeath dans l'histoire de John Gay, à la fois par l'histoire de Jack l'éventreur et aussi par les poèmes de François Villon.

L'histoire se déroulant à Soho, à Londres, racontera l'histoire de la concurrence entre deux "hommes d'affaires" des rues: un roi des mendiants et un dangereux criminel.  Le premier Jonathan Jeremiah Peachum (un clin d'oeil au compositeur original) et le leader des truands: Mack-the-Knife.

Kurt Weill compose la mémorable musique, sa femme chantera dessus dans le rôle de la reine des putains. (Benjamin Britten est l'auteur des arrangements les plus modernes).

La pièce posant la question toujours pertinente:
 "Qui est le plus grand criminel : celui qui vole une banque ou celui qui en fonde une ?"
est créée en août 1928 puis en France au théâtre Montaparnasse deux ans plus tard.
Die Dreigroschenoper n'est pas un succès tout de suite en Allemagne mais L'Opéra de Quat'Sous est un immense succès en Europe. En cinq ans, il est joué plus de 10 000 fois et est traduit en dix-huit langues. Aux États-Unis en 1933, l'Amérique est trop au coeur de la grande dépression pour savourer cette histoire de petits criminels. Au contraire, à cette époque aux États-Unis, on a besoin de héros et on créé Superman. La pièce est un bide sur Broadway.

En 1931, le réalisateur allemand Georg Wilhelm Pabst adapte la pièce en film simultanément en français et en allemand, la version française mettant entre autre en vedette un jeune Antonin Artaud dans un petit rôle. Bien que Brecht ait contribué à l'adaptation scénaristique, il désavouera le film, après de multiples prises de bec avec le réalisateur en cours d'adaptation.

Très influencé par le mouvement expressioniste, la pièce de Brecht donnera naissance à la distanciation Brechtienne. Les nombreuses adresses directes au public, les mise en abîme si cher à l'auteur, la chute du 4e mur traditionnel entre l'espace scénique et l'assemblée des spectateurs, incluant ainsi le public dans l'espace de jeu et favorisant la réaction émotionnelle de celui-ci, crééra cette distanciation.

Des slogans sont projetés sur le mur du fond et les acteurs portent parfois des pancartes, ou sortent de la situation dramatique pour s'adresser directement au public. L'interprétation défie les notions conventionnelles de propriété aussi bien que celles du théâtre.

284 ans après sa première esquisse,
84 après sa première création sur scène,
L'Opéra de Quat'Sous, dont le nom a inspiré un incontournable théâtre de chez nous, est encore un franc succès.

"Qui est le plus grand criminel : celui qui vole une banque ou celui qui en fonde une ?"

La question est encore pertinente aujourd'hui alors qu'on ne se gêne plus pour vendre de la bière en vantant les crimes du passé ou pour imposer des loi matraques illégales comme la loi 78 au Québec.        

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