mercredi 26 décembre 2012

Le Cadeau

(Adapté de Lou Reed)

Damien Meemind en avait assez.

C'était la mi-octobre et ceci voulait donc dire que cela faisait deux mois qu'il était séparé d'Iza. Deux mois et tout ce qu'il avait de nouvelles était deux cours courriels et deux appels longue-distance fort coûteux où bien peu s'était échangé entre lui et sa supposée amoureuse.

Il est vrai qu'elle avait choisi d'aller étudier en Alberta et que lui, de son côté, restait à Montréal. Mais ils s'étaient juré fidélité. Du moins une certaine fidélité. Elle sortirait avec des garçons de temps à autre mais ne coucherait avec aucun. De toute façon en Alberta, il faudrait les marier pour le faire. Elle serait fidèle. C'est ce qu'elle lui avait dit. Mais au téléphone, à l'écrit, il n'avait rien senti.

Et recémment, Damien se sentait de plus en plus inquiet. Il dormait mal et lorsqu'il le faisait il était victime d'horribles cauchemars. Il se tortillait dans ses draps, essuyant de temps à autres quelques larmes en s'assoyeant dans son lit tout en imaginant Iza, ses voeux pieux déjoués par l'alcool et les biceps d'un homme de néanderthal au torse bien proportionné et à la gueule carrée comme elle les aime, la soumettant soudainement aux supplices finaux de l'abandon face aux caresses sexuelles.

C'était beaucoup trop pour son imagination flottante.

Les visions d'infidélité d'Iza le hantait. Ses jours étaient meublés de pensées sexuelles toutes plus dégradantes les unes que les autres pour celle qu'il disait aimer. Le pire c'est qu'il était convaincu que l'Alberta n'était pas fait pour elle. Tout ses rednecks, ses guns-happy freaks, ses fils de fermiers, ses amoureux de Stephen Harper, que comprendrait-il d'une jeune artiste en arts visuel de Pointe-Claire comme elle? Lui savait comment s'y prendre avec elle. Pas les cowboys. Il la faisait rire, elle avait besoin de lui et il n'était pas auprès d'elle. (soupir!)

Mais une idée lui vint un mardi de pluie. On venait de sonner à sa porte afin de livrer un colis de produits de machine à café commandé sur le net par son co-locataire.
"Rien pour moi?" avait-il demandé au livreur qui ne lui avait pas répondu mais qui l'avait regardé comme on regarde un bol plein d'excréments où l'eau monterait au lieu de quitter le bidet lorsqu'on tire la chasse d'eau.

Le café était un produit livré d'Angleterre et c'est là que l'éclair de génie l'a frappé. C'était d'une simplicité absurde. Si il n'avait pas les moyens de se rendre en Alberta il pouvait par contre tout simplement se poster lui-même! Il demanderait l'aide de son co-loc et s'enverrait en commande spéciale pour livraison urgente.
Il se rendit acheter ce qu'il fallait, du solide papier collant, une brocheuse pour solidifier la boîte, une bôite de carton en mesure de contenir un homme de sa taille. Il fit quelques minuscules trous d'aération, se garda un peu d'eau, son ipod et quelques collations et se dit que son voyage serait peut-être même plus agréable qu'en avion aux côtés d'un obèse suintant.

Son co-loc marqua fragile sur la boîte et envoya le colis dès le vendredi suivant. En petite boule, enroulé dans des plaques de styrofoam, Damien imaginait la surprise d'Iza de le voir apparaître en personne et souriait lui-même comme un mongol dans la boîte de carton. Elle aimerait beaucoup. Il se senti brasser beaucoup avant de finalement sentir qu'il était déposé dans un avion, confortablement, tranquille.
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En Alberta, Iza venait de finir de déjeuner et avait son manteau sur le dos. Le vendredi avait été fort intense. Elle se rappela qu'elle ne devait plus boire ainsi. Sean avait été cool toutefois. Il ne la jugeait pas pour boire autant tout comme elle ne le jugeait pas de croire en Dieu. Ils s'entendaient à merveille comme jamais elle ne s'était entendu avec un garçon de son âge. Si seulement Sean avait pu donner des leçons de séduction à Damien...Damien... ça lui semblait si loin cette histoire...une autre vie...morne...Pwuoche...

Marie Goltoultan, sa meilleure amie et co-locataire, l'avait suivie en Alberta. Elle s'était trouvée un travail de serveuse sur place et étudiait avec Iza de jour. Elle entra dans la pièce et dit à Iza:
"Aaaaaaaaaaaaah qu'il fait frette dehors c'est terrible on dirait tous le temps qu'il va neiger..."
"je saaaaaaaaaaaaaaaaaaaaais...ça me pique partout!" répondit Iza en enfilant son manteau d'hiver. Marie enleva pour sa part son manteau mais garda son bérêt avant de dire:
"Tu prends tu la pillule au moins Iza?"
"Non, ca me donne toujours envie de vomir"
"Un jour tu vas vomir parce que t'es enceinte"
"PFF! On est en Alberta! Il faut se marier pour coucher avec un garçon. Je n'ai pas couché avec Sean."
"Vous étiez proches de le faire en tout cas"
"On s'est embrassé beaucoup c'est vrai mais je pense que je ne prendrai plus jamais de Daiquiri de ma vie"
"Il te taponnait beaucoup hier"
"Une vraie pieuvre, les mains tout partout! mais après un moment tu te tannes de te battre avec lui et tu le laisses faire. Même qu'après quelques touchés stratégiques... j'avais presque le goût..."
"Mais tu peux pas...tu vas aller en enfer tu ferais l'amour pour le plaisir et non pour faire des enfants"

Les deux filles éclatèrent de rire.

C'est à ce moment que le colis arriva. Un lourd colis que le vieil homme qui livrait eût beaucoup de difficulté à entrer dans l'appartement.

"Qu'est-ce que tu penses que c'est? j'ai rien commandé de Montréal" demanda Iza.
À l'intérieur du paquet, Damien trépignait d'excitation en écoutant sur son Ipod une chanson de circonstance.
"C'est pas l'adresse de Damien à Montréal ça?" dit Marie.
"DAMIEN?! fuck me! je veux pas reçevoir rien de ce pauvre con!"
Le refrain de la chanson qui jouait dans les oreilles de Damien l'empêcha d'entendre ceci.
Damien tremblait d'excitation. "Ce sera pour bientôt" pensa-t-il.

Marie et Iza tentèrent en vain d'ouvrir ou de déplacer la boîte mais c'était beaucoup trop lourd pour elles.
"Cybole, ça va prendre une power drill pour ouvrir ça!"
"Le crétin m'a envoyé une enclume!"
"Va donc chercher des ciseaux au moins le tape est pas ouvrable non plus" dit Marie.

Dans la boîte, Damien n'en pouvait plus. Il sentait son coeur battre dans son cou. Il souriait comme un dément. Ce serait pour bientôt.

Après avoir essayé plusieurs fois avec la lame d'une simple paire de ciseaux, Iza se découraga. Elle prit un élan du fond du mur et fonça en trombe vers la boîte en sautant dans les airs avant de retomber à genoux en enfonçant à deux mains de tout son poids et de toute ses forces la lame des ciseaux dans le milieu de la boîte afin d'y faire un simple trou.

La lame traversa le papier collant, le carton et s'enfonça profondément dans la milieu d'une touffe de poil, créant une fissure majeure et fatale dans le crâne de Damien Meemind.

Amenant une légère et douce ondée de pluie rouge dans l'appartement ensoleillée des deux jeunes filles qui hurlaient à plein poumons dans leur salon.

Damien souriait toujours comme un dément quand il a été déclaré mort.
Une paire de ciseaux ouverte au milieu de sa tête.

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