mardi 2 avril 2013

Histoire Vraie d'un Espion Filou

"Kim" Philby, né Harold Adrian Russell Philby était le fils de John Philby (1885-1960), un orientaliste, arabisant, diplomate et espion, qui fut le grand rival du colonel T. E. Lawrence (Laurence d'Arabie), avant de devenir l'éminence grise du fondateur de l'Arabie saoudite. La personnalité hors du commun et la renommée du père a peut-être profondément joué dans les choix futurs de son fils. Issu de la bonne société et de la noblesse non-titrée cossue anglaise, il est élevé comme son père à la Westminster Public School. Il intègre par la suite l'université de Cambridge.

À Cambdrige, il y rencontre des étudiants qui formeront avec lui le Groupe de Cambridge ou les Magnificent Five (Donald Maclean, Guy Burgess, Anthony Blunt et John Cairncross). Des intellectuels comme George Bernard Shaw ou George Orwell, à l'époque très favorables au communisme, ont eu une influence très forte sur toute cette génération. (Le futur)auteur anglais Graham Greene est son ami et se joint avec lui brièvement au parti communiste. Trésorier de la Cambridge Socialist Society, Philby est remarqué en 1930 par l'un de ses professeurs, communiste, à Cambridge qui l'aiguille vers les services secrets soviétiques pour lequel Philby acceptera de travailler.

En 1934, après ses études, il se lance dans un grand tour d'Europe, visitant tous les pays. Les finances familiales le lui permettent aisément. À Vienne, il rencontre une femme qu'il marie et pour qui il accepte de transporter des fonds secrets à destination de cellules clandestines dans l'Allemagne hitlérienne et en Grande-Bretagne.

Correspondant étranger pour le Times, il couvre la guerre d'Espagne et signe des textes pro-Franco. Ainsi, il se constitue une couverture parfaite d'anticommuniste. Décoré, il entre au British Foreign Office. La bête est dans la boîte.

Il sera aussi correspondant pendant la Seconde Grande Guerre. Après la débâcle française de juin 1940, il est recruté par un colonel qui l'intègre à la section contre-espionnage du MI6, le service de renseignement britannique, plus connu sous le nom d'Intelligence Service. En 1939, un ancien chef de l'espionnage soviétique en Europe a trahi l'URSS et rejoint Londres en donnant ses dossiers au MI6. Il livre ainsi un capitaine du service du Chiffre du Foreign Office, qui est découvert et condamné à dix ans de prison. Cet ancien chef de l'espionnage soviétique parle aussi d'un espion au sein du British Foreign Office et qui travaillait à Paris : il s'agissait de Donald Maclean, mais l'information ne sera confirmée qu'en 1951. Une hypothèse veut que Philby ait freiné les recherches à l'époque puisque c'est son ami d'enfance.

Philby sera promu et aura sous son aile Graham Greene qu'il envoie au Sierra Leone. Kim Philby était, à Gibraltar, le responsable de la sécurité du général polonais Władysław Sikorski, et c'est lui qui provoqua l'accident d'avion coûtant la vie au général. Il aurait ainsi obéi aux ordres de Staline désireux de se débarrasser d'un allié devenu gênant.

Au sein du MI6, la traque aux espions fait de plus en plus de victimes, Kim Philby sent l'étau se resserrer autour de lui. Rusé, et pour éviter les soupçons sur sa personne, il propose de lui-même à ses supérieurs de créer une section spéciale chargée de traquer les espions soviétiques en Grande-Bretagne. Il peut ainsi contrôler les enquêtes et tenir son nom hors des dossiers. From the inside.

Constantin Volkof était consul soviétique à Istanbul, et chef du service de renseignement pour le Proche et Moyen-Orient. Il propose aux Anglais de passer à l'ouest, et en échange du droit d'asile offre les noms de deux espions hauts-gradés. Parmi ces deux noms, probablement celui de Philby. Celui-ci intercepte la demande, prévient Moscou et Volkof est rapatrié en URSS et disparaît comme seuls les Russes savent éliminer un rival.

En 1946, les Étatsuniens, les Britanniques et les Canadiens démantèlent tout un réseau d'espions soviétiques au lendemain de la défection d'Igor Gouzenko. Gouzenko livre 108 documents qui révèlent l'identité d'une quarantaine d'espions. Les documents livrés laissent penser qu'un haut-gradé du contre-espionnage britannique est peut-être un espion, et qu'il s'agirait peut-être bien de son chef, Kim Philby, mais l'affaire est étouffée, personne n'ose imaginer que cela puisse être vrai.

Toutefois l'ombre est bien présente. Philby est gentiment écarté du centre du pouvoir à Londres et envoyé à Ankara, en Turquie . Il est chargé d'infiltrer en URSS des agents nationalistes arméniens ou géorgiens pour le compte des Occidentaux. Philby se fait alors un malin plaisir de refiler toutes les informations au KGB. Il est 100% agent double.

Philby est ensuite affecté au poste de Premier Secrétaire à Washington en 1949 où il y retrouve Maclean et Burgess, alors diplomates. On soupçonne qu'ils aient transmis aux Soviétiques des informations confidentielles sur le programme nucléaire militaire et leur ont annnoncé les opérations de déstabilisation en Albanie, menées par la CIA et le MI6 entre 1949 et 1951.

Depuis Washington, Philby a accès à des informations de premier plan. Grâce à lui, en septembre la Chine est informée que les États-Unis ne procéderont ni à un bombardement nucléaire ni à des bombardements massifs en cas d'intervention chinoise (même indirecte) dans le conflit. Ainsi,  ils sont mis au courant d'une  limite nord à ne pas franchir par McArthur. À la suite de ces renseignements la Chine intervient en masse, et arrête la progression américaine en Corée.

Entre 1950 et 1952, il organise avec les États-Unis des missions clandestines d'agents volontaires en Albanie et en Ukraine. En même temps il donne tous les détails à Moscou : 150 Russes et Étatsuniens sont fusillés dès leur arrivée en URSS, et 18 autres en Albanie.

À  partir de ce moment, le FBI alerte qu'il y aurait des taupes britanniques à Washinton. En 1951, une enquête est menée, mais c'est à Philby lui-même qu'on la confie!  Il sait que ses deux amis Burgess et Maclean sont découverts, il les prévient à temps et ils s'enfuient pour Moscou.

Quatre mois plus tard, il démissionne de ses fonctions. En 1954, un diplomate soviétique passé à l'ouest le dénonce mais, bénéficiant de protections secrètes et élevées, Philby est blanchi des accusations.

Philby aurait informé les Soviétiques que le stock de bombes atomiques était épuisé et que les États-Unis avaient du mal à en reconstruire, notamment à cause de la dispersion des équipes de scientifiques du Projet Manhattan. Cette information aurait incité Staline à provoquer deux crises majeures, le Blocus de Berlin (1948-1949) et la guerre de Corée (en juin 1950).

Définitivement exclu du MI6, Philby s’installe à Beyrouth comme correspondant de L'Observer puis de The Economist. On lui colle un "surveillant" au cul. Philby séduit alors la femme de ce "surveillant", et l'épouse en 1959. En 1962, il est découvert et fuit lui aussi pour L'URSS.

Jusqu’à sa mort, il fait l’objet de tous les honneurs de la part du régime soviétique (décoration, appartement de fonction, datcha, on fait un timbre à son effigie), tout en restant la coqueluche des médias anglo-saxons.

Il se justifie dans un livre, My Silent War (Ma guerre silencieuse), publié en 1968. Il passera le reste de sa vie en URSS, impuni malgré ses multiples trahisons, et y meurt en 1988.

À l'âge de 76 ans.

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