samedi 27 avril 2013

Les 6 Gilles Meloche

1980.

J'étais en 3ème année dans le cours de Yolande dans le 418. Ça devait être à cette période de l'année où la neige a fondu sous le soleil et cédé le passage aux chant des oiseaux et où, même si il fait chaud, la frénésie du hockey est à son comble dans mon coin de pays, puisque ce sont les séries éliminatoires de la NHL.

C'était aussi le moment de l'année où les collectionneurs de cartes de hockey comme je l'étais en profitaient pour tenter de faire un dernier blitz d'échange afin de compléter une collection qui serait déjà désuette 5 mois plus tard mais qui assurait 4 mois de plaisir à se rêver gérant/entraineur/commentateur de la NHL en simulant des matchs avec nos cartes.

Truchon et Garcia étaient deux de ces collègues dans le cercle fermé des "gérants de cartes de hockey" de 8 ans de ma classe. J'avais déjà sondé en matinée Truchon en lui faisant me présenter ses doubles. J'avais besoin de Behn Wilson des Flyers de Philadelphie et de Dave Debol des Whalers d'Hartford et ma collection était complète. Ça rendait les transactions presqu'impossibles tellement c'était précis. J'offrais à quiconque la moitié des mes doubles pour l'un et l'autre moitié pour l'autre. Truchon m'avait passé en revue tous ses doubles le matin, une généreuse pile que je soupçonnais être l'ensemble de ce qu'il possédait. Pas de Wilson ni de Debol. Mais 6 Gilles Meloche, gardien ordinaire des North Stars du Minesotta. Pas d'échanges possible.

Pendant la classe de la matinée, Garcia est sorti pour aller aux toilettes. Nos écoles étaient pauvres et un casier pour chaque élèves aurait été un luxe. Nos légers manteaux printaniers étaient tous dans le corridor, suspendus à des crochets. Quand est venu le temps de la récré, je suis allé voir Garcia pour lui demander si il avait des doubles. Il m'a répondu par l'affirmative et m'a montré sa pile. Une pile généreuse. J'étais étonné de sa pile. Un moton de jeunes de notre âge s'est collé à nous pour regarder "ses" doubles et voilà que les cartes me rappellent quelque chose. 1 Gilles Meloche, 2 Gilles Meloche, 3 Gilles Meloche, 4 Gilles Meloche, 5 Gilles M...
"Ben là Garcia..." J'ai commencé avant que Lemay, dans le tas de tête autour de Garcia, ne fouille ses poches et constate qu'il s'était fait voler tout son butin. "HEY! Garcia t'as volé mes doubles!" a ponctué Lemay.
"NOOOOOON! je les ais acheté"
"Non t'as volé mes doubles, j'ai p'us mes doubles!"
"NOOOOOON! Je les ai acheté aux dépanneurs"
"T'as volé mes doubles!"
"NON!"
"T'as volé mes doubles!"
"Ce sont ces doubles Garcia je les ai vus ce matin" j'ai rajouté, mal à l'aise.
"Non!"
"T'as volé mes doubles!"
"NON!"
Garcia était un agressif.
"T'as volé mes doubles!"
"NON!"

Après une pause où tout le monde attendait l'affront final, Truchon a tranché.
"O.K."

"O.K.?" on a tous plus ou moins répété incrédule. 
"Mais c'est clair que Garcia t'as volé tes doubles je les ais vus ce matin!"
"C'est vrai, moi aussi j'ai vu tes doubles. 6 Gilles Meloche, c't'a toi" a rajouté Paquet, le plus grand connaisseur de hockey de la planète et qui voyait les doubles des autres avant tout le monde tellement il mangeait de ce sport. Une sommité de la carte de hockey O-Pee-Chee.

Ce dernier jappement de Garcia avait semblé convaincre Truchon. Plus jamais il ne reverrait ses cartes de hockey, les laissant à son ravisseur, Garcia, maintenant traité en paria par nous. Truchon arriverait même à  se convaincre que Garcia avait raison.
Il avait acheté des paquets au dépanneur et par le plus grand des hasards, avait eu lui aussi 6 Gilles Meloche. Quand Truchon disait à voix haute des gorssièretés comme "J'espère que je vas pogner un jour celui ou celle qui m'a piqué mes cartes..." on le corrigeait en répondant "Garcia? yé là-bas".

Nous avions pitié de Garcia, portion d'ivraie dans les céréales du jour, mais avions encore plus pitié de Truchon, terrorisé par l'autre et aveuglé par la pensée magique.

En voyant le triste Maire Tremblay cette semaine à la commission Charbonneau, raisonnant parfois comme un kid de 8 ans, j'ai pensé à cet incident de 1980.

Il avait bien 8 ans par moments quand il s'exprimait n'importe comment le pauvre Gérald.
Il vivait lui aussi dans le déni comme Truchon en 1980.

En "capital humain", Tremblay faisait franchement pitié.
On avait beau lui mettre 6 fois le même fraudeur en pleine face, il ne le voyait pas.

Fallait bien un enfant de 8 ans au sommet de la pyramide pour que les crapules s'installent à Montréal.

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