mardi 18 février 2014

Échos d'Entrepôt

Écouter Wild is the Wind dans une tempête de neige en pleine nuit au volant de sa voiture a quelque chose de magique. Surtout que je chante merveilleusement ce morceau. La version de Bowie pas celle de Simone qui reste inimitable.

En entrant à l'entrepôt, se tenait près de la porte Jordane. Une rare fille de l'entrepôt, et c'est peut-être pour ça, je lui trouve un petit quelque chose. Je ne sais trop quoi. Elle ne me paraît pourtant pas belle. N'a pas d'attributs physique trop attirants. Des jambes maigres, un dos presque rond. Des manières, un ton. Je ne sais pas. Un cheveux aussi noir que son caractère semble l'être. Et une absence de sourire en tout temps. Je crois que c'est ça qui me plait. Cette idée, ce défi inconscient que je me donnerais de la faire rire un jour.
Elle est là dans l'entrée et elle pratique un argumentaire sur un autre employé pas très haut gradé.

"Moi je m'en fous mais si le travail 'est pas faitte, je veux pas manger de la marde! i'm' dit hier d'aller puncher, j'en avais encore pour 30 minutes de job à faire en arrière, pis après i's,Plaint que c'est pas faitte! c'est quoi le rush de m'envoyer en pause?" rogne-t-elle.

Plus loin, Jason. Un gérant, mon gérant de section. Il s'est pris d'affection pour moi depuis qu'il a découvert que nous étions tous deux de souche irlandaise. Mais si moi j'ai le teint foncé des atikameckw de ma mère, lui a le cheveux roux de ces ancêtres. Il m'a affecté à la nouvelle section des différents alcools. Bières en bouteilles et en cannettes. Je charrie des centaines de caisses entre 13,5 et 23 kg pendant 5 heures chaque matin. L'amoureuse me trouve maintenant "fit". Je le vois dans ses yeux quand je me mets en bedaine.

Mikaël aussi à l'entrepôt qui ne se gêne plus pour être plutôt explicite dans son désir de moi.

Il me dévisage des pieds à la tête (en passant par le cul) depuis le jour 1 en Octobre dernier. Il a appris mon nom avant tous les autres et est subtil comme un boeuf dans une litière à chat.

"Je leur ferais pas mal...à gauche pis à droite! ostie que j'suis bien entouré!" dit-il à une collègue l'autre matin. À gauche de Mikaël, moi. À droite, un jeune homme beaucoup plus jeune et très en forme. Mikaël ne se peut plus. Chaque fois que je me penche pour prendre une caisse, je serre mes fesses. Sans m'en rendre compte je les exercises. J'ai mal aux muscles fessiers à la pause. La fille répond à Mikaël:
"Y é tant que ton chum reviennes de son colloque, Mikaël, je t'entends fantasmer!"

Jason, mon gérant:
"OKHunterlàonvadéplacertouslesnouveauxarrivagesaveclejigger, tusaissionauneméthodeçavabeaucoupomieux,j'vastemontrercommentquejefaisaisquandj'étaischezCanadianTire,c'estGarymonancienbossquim'avaitapprisçapisçaallaitbenensivouplait, jemefaistapersurlesdoigtsparcequejepassetropdetempsdanstasectionmaisjeveuxqueçaspassebienpisjtefaisconfiancepistoutemais..."

Écoutez-vous encore?
Moi non.
On travaille très fort et à un bon rythme, puis Jason vient nous parler et on ralentit. On s'endort. Et on ne veut pas ça.

Jason utilise énormément de mots pour dire bien peu. Je sens, puisqu'il est arrivé en Octobre lui aussi comme moi mais directement comme gérant, alors que moi je ne suis que marchandiseur, qu'il veut surtout assoeir une autorité. Ça ne fonctionne pas trop. Il joue au dur mais ça trahit une réèlle faiblesse. Non, ça ne fonctionne pas. Premièrement parce que je n'ai pas besoin de ses multiples explications. Et aussi parce que je vois bien que personne ne le respecte dans l'entrepôt. Les chauffeurs de lifts passent leurs temps à l'envoyer chier. Jason manque d'assurance et couvre ce manque par une demie-tonne de mots qui veulent dire bien peu.

Fallait le voir l'autre fois me dire "Cette caisse, tu l'enverras dans le coin pour pas que les lifts s'accrochent dedans." Ça lui a pris 45 minutes me dire ça. Parce qu'il a soudainement transformé cette simple directive en leçon de vie. Je ne sais trop comment on y est arrivé mais 45 minutes plus tard, il concluait en disant:
"Parce qu'on fait pas de pâté chinois sans patates tsé!"

Propos sages sur lequel je ne pouvais qu'acquiescer.

Jason ne durera pas longtemps à l'entrepôt Rye & Die, je le sens.

"Casse une caisse Jones! j'ai soif!"
On l'entend 10 fois par semaine celle-là...l'humour d'entrepôt...

En quittant l'entrepôt, comme toujours, je me sentais comme un gars qui a joué 9 périodes de hockey consécutives. Mais là fallait que je trouve mon auto (noire mais entérée dans la neige donc blanche comme toute les autres) et que je la déterre. Une fois trouvée (après trois erreurs, mon auto est récente quand même , je ne la reconnais pas tout le temps sans neige alors...) Je me suis accordé quelques secondes de chant de Bowie dans la voiture.

"...we're like creature in the Wind...and Wiiiiiiiiiiiiiiiiild is the Wind...Wiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiild is the Wind, Wiiiiiiiiiiiiiiiiiiiild is the wind, Wiiiiiiiiiiiiiiiiiiiild is the wind, Wiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiild is the Wiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiind!"

"Vraiment?"

(...)
et bien oui, non seulement la porte de ma voiture était ouverte mais mes essuies-glace en marche ont freiné mon élan vocal en m'engloutissant la tête dans une demie-tonne de neige ramenée sur mon crâne entre les portes.

Jordane était à mes côtés, tout sourire, déblayant sa voiture.
Je savais qu'elle était belle quand elle souriait.

Défi réussi.
Sans efforts, aucun.

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