mercredi 5 mars 2014

Le Martyre de Loulou

"If I ever bore you, it'll be with a knife"

-Louise Brooks

Dans les années 20, la ziegfried girl Louise Brooks, est recrutée pour faire 14 films muets. 7 d'entre eux sont aujourd'hui perdus. Comme elle avait le look européen aux yeux de certains, la jolie fille du Kansas tourne deux films muets sous la direction de G.W. Pabst et un autre sonore, en français.
Lors de son retour aux États-Unis en 1931 elle sera réduite à des petits rôles dans des comédies oud dans des westerns.

Puis, les oubliettes.

Ce ne sera que 30 bonnes années plus tard que le film Pandora's Box de G.W.Pabst, nouvellement restauré et officiellement lancé aux États-Unis, ne la remettra au goût du jour. Des années après que Gloria Swanson, Lilian Gish, Mary Pickford ou Greta Garbo eût partagé le trône des reines du grand écran.

Mais en 1958, Louise Brooks est une vieille femme. Elle a 48 ans. Même si on lui reconnaît un talent à l'écran, une beauté certaine, qu'on copie ses tenues et surtout sa coupe de cheveux cléopâtrienne, il est trop tard pour le trône de reine du showbizz.

Ça lui donnera une langue acerbe. Croisant macabre et cynisme. Elle terminait la plupart de ses conversations téléphoniques par "bring a gun", ce qui laissait souvent les interlocuteurs pantois.

Moderne et très en avance sur son époque, elle prit donc la plume pour signer des livres sur ses expériences Hollywodiennes passées. Réèlles ou inventées. Elle aurait couché avec Chaplin et avec Garbo. Un culte s'est développé autour de son look au point que les gens croient encore aujourd'hui que TOUTES les femmes des années 20, arboraient la coupe de cheveux "au carré" de Loulou.

Agréssée sexuellement par un adulte quand elle n'avait que 9 ans, elle était écorchée vive. Elle appelera celui qui a détruit sa sexualité pour la vie "Mr Flowers" et quelques fois "Mr Feathers". Fleurs...plumes... un rapport trouble avec son agresseur. Elle a naturellement versé dans la bouteille et aura bu solidement toute sa vie. La faisant alors verser dans la perversion langagière et quelques fois physique.

C'est Howard Hawks en 1928 qui voit quelque chose en elle et la fait jouer dans un de ses films. C'est grâce à ce film que Pabst la découvre et la fait venir en Europe. Mais la non-reconnaissance, ou la reconnaissance plus-que-tardive de Louise Brooks n'en a pas fait une victime, au contraire. Elle a exploité cette "misère" au maximum. À l'écrit entre autre. En entrevue avec ses anecdotes réelles ou inventées, toujours.

Elle s'est transformée de vedette oubliée en "mémoire" du cinéma des années 20.

Dans Pandora's Box, dans la peau de Loulou, Brooks est le contraire de Marlène Dietrich dans Der Blue Angel, tourné la même année. Marlène est séductrice, affichant une sexualité destructive, assumée et agressive. Brooks pour sa part affiche l'innocence instinctive de la féminité naïve. Mais hors caméra, Brooks était une femme intelligente et caractérielle. Bien en avance sur son époque. Ce qui a aidé à la faire larguer par les machistes du cinéma de l'époque.

S'intéressant autant aux hommes qu'aux femmes à la ville, elle était même partisane de l'amour moderne des deux côtés de la frontière sexuelle.

Quand le son est arrivé sur les écrans, sa voix de gravelle liquide a sonné faux. On pourrait croire que ça a aidé à la placer sur la voie de service aussi mais cette même voix à fait des miracles pour Katharine Hepburn, actrice dont il fallait écrire les lignes cyniques alors qu'avec Brooks, elles étaient spontanées et naissaient en elle.

Nymphomane et certainement destructive, abrasive en tout point, elle serait difficile à résister aujourd'hui.

Fin des années 50, début des années 60, on la reconnait enfin comme la géante du grand écran qu'elle aurait dû être. Sa réponse sera venimeuse. Elle crachera sur papier 20 années de rien à Hollywood. Dépeinte comme une victime d'Hollywood. Brooks gardera pour elle même la vraie raison de son bannisement des plateaux d'Hollywood: le refus de revenir d'Europe afin d'enregistrer sa voix sur une production qu'elle avait tourné à Hollywood.

La meilleure amie de Louise Brooks, l'actrice Pepi Lederer se suicidera. Brooks racontera son enterrement avec beaucoup d'humour en disant que l'actrice Katherine Menjou, en parfaite absence mentale, avait volé le spectacle de son enterrement en faisant des saluts de star à des caméras imaginaires et envoyant des bisous à des fans tout aussi imaginaires dans une robe franchement trop sexy.

Brooks aura aussi, à sa manière commis un suicide au début des années 30.
Mais aura vécu pour en vivre les échos d'une vie de presqu'étoile.

Une vie de martyre auréolée.

Elle meurt d'une crise cardiaque à l'âge de 78 ans en 1985.

Elle tournait son tout premier film il y a 90 ans.

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