mercredi 23 juillet 2014

Parfaites Imperfections

Il y a cette chanson que mon fils voulait tellement que j'aime, moi aussi. Nous avons peu de musique en commun et celle-là, il y croyait comme terrain d'entente sonore. Je l'ai déçu. Je l'ai d'abord trouvé banale.

Puis, à force de l'écouter, de l'entendre au travail, de la chambre de Monkee, en voiture quand la belle prenait le contrôle de la radio, les paroles, tout simplement merveilleuses, me sont entrées dans la peau.

You're my downfall, you're my muse,
My worst distraction, my rhytm'n blues.

Joli.
Mais pas autant encore que 
...Loves your curves and all your edges,
all your perfect imperfections...

Les deux derniers mots peuvent pour moi être aussi séduisants, souvent plus, que la beauté lisse et frappante.
J'appelais d'ailleurs la chanson Perfect Imperfections quand je la commandais à mon fils:
"Monkee, mets-donc Perfect Imperfections!"

J'ai écouté coup sur coup deux films forts différents il n'y a pas longtemps. Le premier, malgré de grands moments visuels, m'a un peu agacé. J'ai ADORÉ le second. Je me suis demandé pourquoi.

Le premier, Lincoln de Spielberg, m'a agacé parce que je le trouvais affecté, surjoué comme au théâtre. Voilà la femme de Lincoln en dépression, voilà un homme du congrès parfaitement conscient que ce qu'il dit est historiquement important expliquant le trémolo dans la voix quand il parle, voilà un irlandais surjouant good Ol' Abe, voilà un gros plan nous montrant un article soigneusement recherché par les consultants historiques autour du film. 

Voilà trop d'orgueil.

Dans le second, Nebraska d'Alexander Payne, je ne soupçonnais pas que, justement, la ville de Lincoln en Alabama, allait y jouer un rôle si important.

Et pourtant les deux films sont nettement différents.

Là où Spielberg filmait et traitait de la couleur au sens propre comme au sens figuré, Payne tournait en noir et blanc sur la route entre le Montana et l'Alabama. Nous touchant partout de manière subtile grâce à un Bruce Dern en splendide forme. On ne devinerait jamais qu'à la ville, Dern est aussi un marathonien chevronné dans une forme remarquable. Ici, il y joue un vieil homme têtu, convaincu qu'il a gagné 1 million de dollars dans une campagne de marketing qui spécifie pourtant en petit caractère qu'un coup de téléphone et l'entrée du numéro du billet qui vous prétend gagnant vous dira si vous avez réellement gagné ce concours. Le personnage de Dern est si déterminé à toucher son million qu'il compte marcher du Montana au Nebraska (1317 kilomètres) afin de réclamer son prix. 
Un de ses fils tente de le raisonner, puis accepte de l'y reconduire. Mais ils passeront d'abord par le village qui les as élevés et celui qui a élevé son père, prétexte qui les feront passer du précieux temps ensemble, mais surtout, ils découvriront que les attitudes changent quand on croit l'autre millionnaire. 

Drôle, cynique, touchant, brillant.

Une critique de toute sorte de choses en même temps. Une habile critique. Le marketing. Le sens des responsabilités. Les rapports entre/avec les aînés. Les liens pères/fils. La cupidité. La famille. L'amour.

Tout en parfaites imperfections.

Et un souci du détail dans le scénario qui m'éblouit chaque fois. 
2 exemples:
Une ancienne copine* du fils du vieil homme vient reporter des affaires chez son ex. Elle lui souligne que les plantes près de la fenêtre vont mourir si elles y restent et auraient besoin d'eau. Sur quoi, l'homme les prends et les transporte à la cuisine. Levant les pots, on découvre des dollars cachés sous l'un de ceux-ci. La scène est filmée de loin, on pourrait ne pas l'avoir remarqué. L'homme qui prend les pots ne l'a pas remarqué. L'ex-copine, dont ce sera la seule et unique scène du film, remarque cet argent, s'en saisi, le cache dans sa veste, n'y fera plus référence avant de quitter l'endroit. Plus riche.

On y reviendra plus jamais dans le film.
Ou au contraire oui.
Ce seul plan, accompagné de la direction des acteurs nous indique que cette femme a un cruel besoin d'argent comme trop de personnages dans ce film, que le fils du vieil homme qui se croit millionnaire n'est pas un homme terriblement organisé si il ne se rappelle plus lui-même y avoir caché de l'argent ou encore qu'il est très distrait (ou les deux). On apprend que tout ceux qu'on rencontrera dans le film ont (trop) besoin d'argent.

C'est un film totalement en lien avec l'économie actuelle aux U.S. of A.

Autre exemple de souci du détail savoureux:
Lorsque le vieil homme passe dans son village natal de Hawtorne, très rapidement on le pense millionnaire. Ça suscite l'attention du journal local qui voudra un article et une photo. Le photographe déplacé pour prendre la photo pour le journal sera un jeune garçon d'à peu près 14 ans qui arrivera en vélo avec son gros appareil de 1981. Personne ne semble étonné de tout ça.

"on fait avec les moyens qu'on a" nous dit cette scène.

Le contraire d'un orgueilleux plan qui nous montre l'étendue de la mise-en-scène d'un champs de bataille, le budget investi sur les costumes et les discours à la voix chevrotante pour faire valoir son point.

Du vrai glissé dans le cinéma. 
Art qui reste une mise en scène artificielle.

C'est légèrement injuste de comparer le film de Steven à celui d'Alexander qui n'avait pas les mêmes visées.
L'un se voulait à grand déploiement et à saveur patriotique pour une Amérique en besoin d'héros solides.
L'autre plaçait sa caméra sur des anges déchus dans une Amérique obèse, gourmande et lacunaires.

Parfaites imperfections.
C'est Payne qui se rapproche le plus de la vraie Amérique.
Et Steven, on le sait depuis toujours, se cherche un père.

Les deux, tous deux cinéphiles avant tout, font du sacré bon travail.
Mais différemment. 
L'un avec orgueil, l'autre humilité.

*Et pas un canon à la Cameron Diaz, une jeune femme modeste, obèse, girl next door, comme on en connait des milliers.

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