jeudi 12 février 2015

Lolita

Lolita raconte la relation malsaine de Humbert Humbert envers une adolescente, Dolores Haze.

Vladimir Nabokov était un homme extrêmement intelligent. Né dans la noblesse en Russie, formé en Angleterre où il a étudié la littérature française avant de passer 15 ans en Allemagne. à 6 ans, il était trilingue (anglais/français/russe). Pas surprenant qu'il fût amoureux de la langue toute sa vie et qu'il se soit fait naturalisé Étatsunien après s'y être installé pour de bon dans les années 40.

Entre 1926 et 1939, c'est tout une oeuvre (10 romans et un recueil de nouvelles) en Russe que Nabokov publie avant de venir enseigner à l'Université Cornell à New York.  Il publie deux romans en anglais, successivement en 1941 et en 1947 avant de publier Lolita qui fait scandale avant même son lancement.

En effet, les éditeurs Viking, Simon & Schuster, New Directions, Farrar, Straus et Doubleday tombent tous en amour avec le style et la prose, mais refusent le livre, par crainte du sujet. On craint que le public pense que Nabokov fait la promotion de la pédophilie. Même si le destin d'Humbert Humbert est fatal. Contrairement à ce que l'on peut penser à prime abord, il ne s'agit pas de l'histoire de la corruption d'une innocente par un pervers adulte, mais plutôt l'histoire d'un adulte extrêmement faible exploitant une enfant corrompue. C'est très différent comme angle. Très intelligent comme je vous le disais. Ce n'est pas un sujet très joli, mais c'est une zone connue et familière des travailleurs sociaux et des psychologues.

C'est par Paris, chez Olympia Press, que Nabokov publiera son oeuvre culte. Mal informé sur les titres qu'Olympia Press publiait généralement, il sera outré d,apprendre que ceux-ci publient principalement des oeuvres érotiques. Rajoutant, une couche d'épaisseur au scandale.

Quand il est publié, il y a des erreurs de typographie dans l'édition et les 5000 copies se vendent en très peu de temps. C'est Graham Greene, le premier, qui en fera une critique élogieuse. En Angleterre et en France, c'est la panique. Dans l'héxagone, on banni le livre pendant deux ans. En Angleterre, on saisit le livre et le retire jusqu'en 1959. Des maisons d'éditions défient les lois et publient le livre quand même, mais en paie le prix par la suite, étant forcé par l'État de fermer boutique.
Étrangement, aux États-Unis, le scandale ne fait pas trop rage. Trois ans après sa publication européenne, G.P.Putnam & Sons publie Lolita en août et ce sera 100 000 copies qui se vendront en trois courtes semaines.

La tragicomédie narrée à la première personne par Humbert Humbert, n'offre que sa seule perspective. Le lecteur a très peu d'informations sur Lolita elle-même, ce qu'elle pense, ce qu'elle vit, ce qu'elle ressent. Nous sommes dans la culpabilité, les troubles de conscience et les observations de la culture américaine d'Humbert pendant 336 pages. Une adaptation théâtrale a été faite de Lolita et il s'agissait d'un monologue d'Humbert Humbert. Ce qui faisait beaucoup de sens. Lolita est un objet fétiche dans la tête d'un homme malade. Nous explorons la tête de cet homme malade dans le livre. Nabokov joue avec la langue de toute sorte de manière, fort amusante. Il commence en allitération son livre:

Lolita, light of my life, fire of my loins. My sins, my soul. Lo-lee-ta: the tip of the tongue taking a trip of three steps down the palate to tap, at three, on the teeth. Lo. Lee. Ta. She was Lo, plain Lo, in the morning, standing four feet ten in one sock. She was Lola in slacks. She was Dolly at school. She was Dolores on the dotted line. But in my arms she was always Lolita.

Le mot Dolores signifie "douleur" en latin.

Considéré à tort comme une nouvelle strictement érotique, il s'agit plutôt d'une étude du désir malsain d'un homme qui oublie de considérer l'objet de son fantasme comme un être humain et le traite comme un rêve fait de chair. Les 13 premiers chapitres, le dernier culminant avec Lolita étirant involontairement ses jambes sur les cuisses d'un Humbert Humbert surexcité, ont définitivement des effluves d'érotisme, mais le sarcasme et l'ironie s'installent jusqu'à la fin du livre qui offre des traces de surréalisme, des échos de Gogol, Dostoievski, Kafka et un survol de la tyrannie et du totalitarisme du point de vue du tyran.

Nabokov décrivait son narrateur comme un homme superficiel, cruel et détestable.

Les jeux de mots, les double sens, les subtilités, les anagrammes, les allitérations, les rimes, les nouvelles notions, comme l'utilisation du mot nymphette, une première, qui a fait son chemin jusque dans les dictionnaires du monde entier, sont multiples dans ce chef d'oeuvre de littérature régulièrement classé parmi les meilleurs romans de l'histoire de la littérature mondiale.

Oeuvre postmoderne et road movie avant l'heure, le roman est la rencontre entre l'âge vénérable et la jeunesse maladroite, l'Europe et l'Amérique, l'art élitiste et la culture populaire. Des idées toujours d'actualités.

Le personnage de Vivian Darkbloom est un anagramme du nom de l'auteur. Il a flirté avec l'idée de publier son livre au sujet délicat sous ce pseudonyme avant de se raviser.

Se considérant largement responsable du fait que les familles ne baptiseraient plus jamais leurs filles Lolita, Vladimir Nabokov ne se douterait pas qu'il serait largement en avance sur son époque, et que les Lolita pulluleraient dans le monde de la musique, de la télévision et du cinéma de nos jours.

Il s'agissait du roman préféré de l'auteur lui-même. Dans la confection (qui aura duré 5 ans) autant qu'avec le résultat final.

Lolita, en septembre prochain, célébrera  ses 60 ans de publication.

 


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