jeudi 18 juin 2015

Le Bouquet-Apens

(à L.R.)

Pat ne savait plus complètement où il était.

Il était chez le fleuriste.

"ce sera deux bouquets" avait-il demandé à la jeune caissière. Les bouquets étaient pour sa conjointe. Voilà 4 mois que lui et Claudia étaient un couple. Peut-être au jour près mais bon. Pat lui commandait des fleurs. Sans qu'elle le sache.

Claudia était un phénonème, il le découvrait petit à petit. Elle était très belle et le savait. Elle en jouait beaucoup. Pour une entrevue, consciente qu'il s'agissait d'une entreprise de séduction, elle mettait tout les atouts de la femme fatale à sa disposition. La robe la plus moulante et la jupe la plus courte.
Selon Pat c'était déplacé, voire vulgaire, d'autant plus qu'elle lui avait confié en début de relation que son premier patron "L avait fait femme" par le passé. "he made me" avait-elle dit sans honte aucune en soulignant qu'elle partageait le lit avec lui. Pat en avait été insulté. Il n'était pas femme mais la simple idée qu'une femme ne pouvait "être" qu'une fois pénétrée par un homme, d'autant plus son supérieur immédiat, le répulsait profondémment. Il y avait définitivement un lourd côté guidoune qui accompagnait une telle confession. Et elle l'avait dit avec une telle fierté assumée qu'il avait eu honte pour elle.
Mais qui était-il pour juger de son passage de jeune fille à jeune femme? Et c'était il y a longtemps. Mais voilà, elle passait toujours des entrevues pour un poste en ressources humaines quelque part de mieux que dans la compagnie de produits alimentaire où elle bossait et le doute était revenu. Les tenues d'agace-pissette aussi.

Ce qui fait que Pat dormait mal ces derniers temps. Expliquant sa présence chez le fleuriste.

"pour emporter ou pour faire livrer?" demanda la caissière.
"Le premier doit être livré à son travail avant midi et le second doit être livré à midi trente sans faute à la maison (il lui donna l'adresse), elle va dîner à la maison, je veux qu'elle y soit quand les fleurs arriveront.

"Les deux bouquets à la même personne?"

"Tout à fait, je vais lui écrire un petit mot"

Il lui écrit "je pense très fort à toi" suivi de trois XXX pour le premier bouquet et sur un autre carton "Je pense non seulement très fort à toi, mais je pense à nous" et il avait suivre de trois autres XXX et d'un :).

Pat retourna à son travail. Il repensait à ce patron qui avait profité de l'ingénuité d'une débutante pour "la faire femme" et ça l'enrageait encore. Il trouvait qu'il s'agissait du cliché anglais "sleeping your way to the top", mais incarné dans sa propre vie privée. Et Claudia se faisait une fierté d'en parler librement. Pff! Elle pouvait le penser, mais en parler avec presque de la vanité, ça il trouvait aussi que c'était totalement déplacé.

Il l'avait trouvée distante depuis qu'ils avaient emménagés ensemble il y a deux mois et les espaces entres les fois où ils faisaient l'amour se creusaient déjà. Alors qu'ils n'étaient qu'un couple que depuis 4 mois! Ne devraient-ils pas brûler de désir l'un pour l'autre après tout juste 4 mois? Pouvait-elle déjà être tannée?

"On dirait qu'elle a la mèche courte" lui avait dit un des amis de Patrick, après les avoir côtoyer quelques temps. "N'a-t-elle pas changé d'emploi à trois reprises en deux ans?"

"Oui, mais elle cherche la bonne occasion, elle cherche toujours mieux" avait justifié Pat.
"je veux pas être pessimiste, mais elle pourrait appliquer ce raisonnement à sa vie amoureuse aussi"

Pat était informaticien dans une grande compagnie. Il avait un bon salaire et jamais il ne pourrait vraiment être promu. Il n'en avait pas envie de toute façon. Peut-être que ça, ça agaçait Claudia?

Le premier bouquet arriva en matinée. Pat avait signé les deux cartons sur les bouquets du nom de "Rudy". Un ami sur Facebook de Claudia, Un ami qui lui écrivait souvent ces temps-ci.

Pat appela Clo:
"Salut, tout va bien?" demanda Pat.
"Oui, pourquoi?"
"Juste pour savoir, je vais peut-être aller dîner à la maison ce midi, tu y seras?"
"Comme d'habitude, oui."
"Rien de spécial?"
"Qu-est-ce...qu'est-ce que tu veux dire?"
"Pas besoin d'un commission ou quelque chose?"
"Nonon, je ne pense pas, je...non..."

Pat se rendit à la maison mais pas avant 12h50. Le temps que le second bouquet arrive. Et qu'elle le reçoive. Une fois à la maison, il se rendit à la cuisine où se trouvait déjà Claudia. Aucun bouquet ne traînait à vue. Ils échangèrent sur des balivernes. Aucune allusion aux bouquets n'avaient été faites. Plus Pat s'en trouvait désolé, plus il semblait remarquer qu'elle irradiait, qu'elle était lumineuse, ravie, heureuse. Mais le regard de Claudia fuyait celui de Pat.

Rudy la désirait et ça la rendait heureuse.

Et elle lui cachait.
Les bouquets n'étaient nulle part. Elle les avaient cachés.

Elle jouait dans son dos ou elle cachait les bouquets pour ne pas le blesser?

"Je vais travailler plus tard ce soir, je ne sais pas trop à quelle heure je vais rentrer" dit Claudia.
"Beaucoup de travail?"
"Des choses à régler..." avait dit Claudia.

"On fera l'amour ce soir?" demanda Pat
Elle resta saisi de la question et ne répondit pas, se contentant de sourire.
Un sourire radieux, ensoleillé. Brillant. Une lumière.

Peut-être allait-elle justement dire à Rudy de ne PAS lui envoyer de fleurs.
De ne PAS la désirer alors qu'elle était déjà en couple.

21h00.
22h00.
22h30.

"Ça va?" avait texté Pat au moins trois fois.

"Oui, oui, excuse-moi, le téléphone était resté dans ma sacoche, J'arrive" avait-elle finalement répondu à 22h33.

Elle avait tout simplement dit qu'il y avait beaucoup de travail a magasin ces temps-ci. Elle semblait curieusement détendue. Elle ne le regardait pas dans les yeux. Ils ne firent pas l'amour.

Pat savait maintenant où il était

Au pays de la paranoïa.



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