mercredi 6 janvier 2016

Caramels, Bonbons & Chocolats

Voilà plus de deux ans que je travaille de nuit à l'entrepôt du Vieux-Port de Montréal Rye & Dye.

Un entrepôt où on y livre mon petit poison personnel: le whisky.

Étrangement, à l'avoir dans le visage toutes les nuits, je me suis trouvé à en consommer nettement moins qu'avant, sinon presque plus.

Pas que j'en consommais beaucoup, je trichais souvent la vérité auparavant en prétextant que j'avais pris une brosse ou que j'étais sous influence alcoolisée, mais pratiquement toutes les fois, c'était parce que je ne voulais pas souligner pour une xième fois, les effets d'une xième nuit d'insomnie et je tournais ça en humour.

Malsain, puisque je laissais entendre que je serais alcoolique. Ce qui est faux. Une caisse de bière de 24 peut traîner 6 mois dans mon frigo du sous-sol. Et le fort, plus longtemps encore. Et je ne me fais plus de Pepski, le Pepsi, croisé au Whisky me faisant gonfler dangereusement.

Maintenant que je suis au large, je vous fais des confessions sur mes maquillages, ha!

Je ne fais plus d'insomnie, je dors maintenant plus dur que quiconque. Des fois avec quelqu'un près de moi qui fait du bruit. Ce qui était impossible avant. J'use la machine qu'est mon corps. Pas nécessairement 100% sain. Je sais.

Plus de deux ans à l'entrepôt. Alors que je ne devais à l'origine qu'y passer le temps des fêtes 2013.
Je ne suis pas parmi les "anciens", certains y sont depuis plus de 25 ans, mais je ne suis plus nouveau non plus. Je suis dans une zone où je peux entraîner quelques nouveaux et on me donne des tâches et des congés de vétérans.

En deux ans, il y a eu trois partys de noël des employés de l'entrepôt. Je n'aurai été à aucun. Par choix. J'ai compris que pour plusieurs, la vie à l'entrepôt, c'est à peu près tout. Quand ils sont en congé, ils reviennent même sur les lieux de travail pour jaser avec les amis ou ils appellent vers 6h du matin pour souhaiter bonne fête.

Le party de Noël sert de laboratoire à former des couples. Et de nombreux couples se sont formés chez Rye & Dye. Certains ont même des enfants.

Il y a deux ans, Stéphane commençait à sortir avec Manon. Belle fille la Manon. Mais comme elle travaille à l'admin. au deuxième étage, on ne la voit pas souvent. Stéphane est chauffeur de lift. Il nous montrait tout fier les "photos de mode" qu'il avait fait faire d'elle. C'est dire comment elle était belle fille. Stéphane a pour sa part très moyenne allure. J'ai connu le couple à sa naissance. puis,  dans leur période caramélisée, Manon enceinte, 7 mois plus tard, puis Steph & Manon avec une petite fille et depuis fin décembre, j'entends Steph se plaindre de "l'ostie de pute" car ils viennent de se séparer.

Se séparer semble tout aussi normal chez Rye & Dye que de commencer une relation. Et faire un enfant, bah!, si il faut passer par là entretemps pour savoir qu'on ne veut pas de l'autre...

Avec Mike & Brandy, je les ai connus en flirt, puis, dans leur période bonbon, le nombril de Brandy a commencé à pousser. Mike a déjà une fille d'un ancien ménage. Brandy fume comme une cheminée. Bébé au ventre, pas bébé au ventre. Elle est assez pathétique. Vulgaire aussi. Une moindre allusion au sexe, même peu subtile, et elle explose de rire.

Mais à un moment donné, elle a cessé de rire. Elle a tout simplement disparue. Mike aussi. On a pensé qu'ils avaient perdu le bébé. Non. Ils s'étaient perdus eux-mêmes. Elle ne voulait plus de lui, il ne voulait peut-être plus d'elle, mais s'intéressait à l'enfant qui allait naître. Ils ont tous deux été absents très longtemps. Au moins 4 mois. Puis Mike est revenu. Plus ou moins dépressif. On a compris qu'il ne serait nulle part dans la vie de Brandy et de leur bébé.  Brandy a disparu pour toujours. Elle élève leur fille toute seule. C'est choisi ainsi. Pas le choix de Mike. Tassé complètement. Faisant le mort la nuit avec nous.

Puis, l'autre tantôt, j'entends derrière moi un collègue en accueillir un autre en disant:

"Pis Gaudreau ?...avec ta belle Mélanie?"

Croyant connement qu'il allait répondre de la lune de miel du début de leur relation, que j'avais vu naître sous mes yeux quelques semaines auparavant, je suis resté saisi par la réponse de Gaudreau.

"Ah! parles-moi en pas christ, hier soir j'ai eu ma première vraie engueulade. J'y ai dit en ostie!"

"De quoi?"

"'À trouve que j'en fais pas assez! ben dékriss, kriss!"

Plein de vocabulaire, ces gens-là. Voilà que Gaudreau parlait comme on se vanterait de ses premiers projets communs, de la première fissure dans leur ménage. Ces deux-là, dans leur période chocolatée avait choisi, après quelques semaines de fréquentations seulement, dans leur toute jeune vingtaine, d'acheter, ACHETER, une maison ensemble .
"Ça va être de la marde pour la maison, dude"

Il bombait le torse comme un ivrogne clame son mâchisme devant des amis dans une taverne. Mais sa Mélanie on la connait tous! Elle est mignonne comme tout, ne ferait pas de mal à une mouche et transpire la tendresse nuit après nuit. (er...à l'entrepôt bande de coquins...)

Visiblement ça ne tendresse plus tellement avec lui. "Tout avait chié" à cause d'elle.

C'est vrai que la vie s'accélère. Ces gens veulent vivre le grand amour dans l'urgence en 36 mois ou moins. L'amoureuse et moi, on a pris un bon 7 ans de solides fondations avant de fondre notre amour sur deux marmots. À leur âge. Et entre le premier et le second on en a pris un autre généreux 4. Donc, 11 ans après avoir commencé quelque chose ensemble, la belle et moi avons fait naître notre dernier enfant.

Entre nous, il y a certes eu des différents, il y en aura encore et il y en aura toujours, mais de moins en moins en vieillissant. Et on sait mettre de l'eau dans notre vin et choisir nos batailles.

Il y a toujours des caramels, des bonbons et des chocolats.

C'est une référence à Dalida et Delon.
La ligne d'après dans la chanson c'est:
Par moments je ne te comprend pas.

Voilà une phrase qui ne s'est pas dit calmement assez souvent dans ces couples franchement trop pressés d'arriver quelque part à deux.

L'impatience se cultive de nos jours et s'en ira avec une croissance malsaine.

Dalida s'est enlevée la vie en 1987.
Ces trois couples au travail ont suicidé leurs relations à coup d'impatience.

Je ne les juge pas. Je suis surpris de constater qu'à l'entrepôt, ça semble entrer dans l'ordre des choses que d'avoir son "ex".

Et en parler aux pauses, même si on connait bien l'autre, n'est pas du tout anormal,

Je travaille de nuit dans une vulgaire taverne.
Et pas besoin d'alcool pour dire encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots.

Qui sonnent faux.


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