lundi 24 avril 2017

Des Chiffres et Des Lettres

(à H.L.)

"LES GOULES!!!"

Duke & Fran ne se contenaient plus! Ils étaient en voiture, en route pour un spectacle de réunion des Goules (inexplicablement, mais la planète le devenait)aux États-Unis, leur band favori au début des années 2000 dont le côté rock, punk, world, country, fuckall et underground avait juré avec le côté enfant tranquille et beige de banlieue de Duke & Fran à l'époque.  Aujourd'hui,ils avaient vieilli et Duke & Fran étaient eux-mêmes plus progressistes dans ce monde inégal et capitalistement injuste. Ils n'avaient qu'une envie: voir les Goules avec leurs look infernal, leur son original et dissident, leurs lacs et rivières de vomi suite aux excès d'alcool, leurs yeux sous l'emprise de toxicité, leurs élans de révolte. leur total manque de superficialité malgré un faible pour le crayon à yeux cheap et les costumes qui était aussi un hommage voilé à un de leur band préféré, The Cure. Et une manière intelligente de rester anonyme au civil.

Duke & Fran écoutaient dans la voiture leur premier (et meilleur) album "KILL". Ils chantaient en choeur "Kill" lorsque Fran cessa brusquement la diffusion du morceau dans l'auto au refrain qui commandait de chanter "666". Ce qui eût l'effet d'un coït interrompu pour Duke, au volant.

"HeY! qu'est-ce que tu fais Fran? What the fuck?"

"Duke, je comprends pas...666...pourquoi 666?"

"C'est la signature du diable, voyons, pourquoi? C'EST LES GOULES!!!"

"Je sais, je sais, mais pourquoi 666, qu'est-ce que ça veut dire?"

"Oh! euh...tu veux dire le sens secret du 666? l'illuminati de la chose? la franc-maçonnerie cachée derrière?"

"Non...je veux dire...le chiffre...qu'est-ce qu'un chiffre? qu'est-ce qu'un 6?"

"Qu'est-ce que tu veux dire qu'est-ce qu'un chiffre?"

"Je veux dire exactement ce que je viens de dire QU'EST-CE QU'UN CHIFFRE, DUKE?"

Quelque chose d'incompréhensible venait de se passer dans la tête de Fran. Un fil s'était brisé. Dans la tête de Duke aussi. Soudainement, les deux fans des Goules venaient de perdre toute compréhension des chiffres. Ils en avaient même perdu la capacité de dire le mot 6! Ils regardaient tous les deux le chiffre des sorties sur la route et c'était aussi clair qu'un mauvais tattoo gravé au mauvais endroit, genre sur le coin du talon d'un pied. Rien de lisible. Le tableau de bord de la voiture était pour tous les deux comme une série de hiéroglyphes inconnus. Duke en fût si paniqué qu'il gara la voiture sur l'accotement. Les deux en sortirent. Fran dit, paniquée elle aussi:

"Fuck! les nombres...On devrait savoir c'est quoi, non?"

"Est-ce que c'est comme des lettres? Est-ce qu'ils font des sons?"

"Ouin?"

"Qu'est-ce qu'un christ de nombre?"

Ils avaient complètement oublié le concept du nombre. Le mot nombre faisait pour eux autant de sens que GHTRFDJY. Il n'y avait personne pour répondre à leurs questionnements, Fran saisit son téléphone:

"Je vais appeler ma soeur! C'est un génie, elle sait tout!" Mais Fran fixa le clavier du téléphone comme on regarderait un pénis de gnou en érection.
"Kesséssa?"

"Euh..."

"Tu te souviens genre...comment ça marche ça?"

"...non..."

"Shit!"

Stationnés dans une station stationnable, ils notèrent que d'autres occupants d'autres voitures semblaient tout aussi confus qu'eux sur la même chose. Étrangement ça les rassurèrent. Une maladie commune devenait soudainement moins étrangère qu'un simple mystère personnel.

"Duke, J'm'en christ! rien ne nous fera manquer un spectacle des Goules! Tu peux conduire cette connerie?"

"Absolument!"

"Alors on décolle!"

Et ils partirent vers...vers...vers une sortie non identifiable puisque simplement numérotée. Ils la manquèrent sans le savoir, Mais eurent l'instinct de sortir à la suivante, ce qui ne les éloignait pas trop de l'endroit où allait se produire le band. Tout les gens semblaient confus, incapable de reconnaître le numéro des rangées ou simplement de lire l'heure. Mais qu'est-ce qu'une santé sinon l'impression que nous somme tous le même voisin de la même maladie? N'appelions nous pas ça la poursuite du bonheur?

Le groupe arrivait tout juste sur scène dans un nuage de fumée cheap. Le chanteur Keith Kouna prenait tout juste le micro afin de crier à la foule si elle était prête à rocker, la foule rugît une première fois. Puis afin de le demander une seconde fois plus fort, faisant répondre une foule prête à faire exploser le plafond.
Le band s'éxécuta en jouant Truite en tout premier. La foule devint animale. Puis, ils enchaînèrent avec Fétiche, leur extrait pour les radios qui n'avait jamais trouvé preneur commercial. La foule devint gaga. Puis, Kouna pris le micro pour annoncer la chanson titre, Kill. La foule se tortilla massivement, à la fois incapable de soutenir le plaisir frissonnant qui les habitait, mais comme dans une étrange douleur aussi.
Au refrain, le visage du chanteur se figea:
"Sik,, sk,,,ergre...aaaaaargh,,," et la musique cessa.
La foule se mit à murmurer, inquiète. Le chanteur ne comprenait plus rien lui non plus.

"D'la marde calisse! je vais faire des sons de singe à la place du refrain!" cria-t-il dans le micro et le band repris le rhytme. Kouna scandant des "whoo-whoo-whoo!" devant une foule et le reste du band, stupéfaits. Ce qui suivi fût encore plus étrange. Lorsque les Goules ont voulu enchaîner avec un autre de leur succès  dont on a voulu épelé le titre (C-R-A-B-E). Sans succès. Le chanteur n'arriva tout simplement plus à parler. Tout le monde semblait maintenant avoir aussi perdu le sens des lettres. Tout le monde se regardait comme pour essayer de rendre tout ça plus vrai. On essayait d'absorber l'incompréhensible. Kouna vint à la rescousse:

"NOUS SOMMES UN BAND DE MUSIQUE, ON VA VOUS PRÉSENTEZ DE LA MUSIQUE, LET'S FUCKING ROCK!". Heureusement, Kouna était aussi guitariste. Les centaines de fans sur place ne pouvaient plus entendre chanter en français leur band préféré dans le pays des anglais, mais ils trippaient fort quand même avec des idoles qui avaient gagnée en proximité: ils partageaient le même malaise!

Mais certains trippent mal. Dans les première rangées, un gars, en dansant le pogo, était tombé sur la blonde d'un autre. Celui-ci avait voulu lui envoyer son poing sur la gueule, mais avait atteint quelqu'un d'autre par erreur. Bien vite, il y avait mêlée générale, la plus grosse échafourrée vue dans le secteur depuis presqu'un siècle. L'illettrisme et l'ignorance à la source de la violence et de l'anarchie. Jamais ne s'étaient-on aussi senti aux États-Unis.

Duke & Fran furent suffisamment chanceux pour se cacher dans un garde-robe de l'endroit. Les Goules ne cessèrent jamais de jouer. Duke & Fran les entendaient toujours, c'était encore un grand moment de leur vie. Quand le band cessa. Duke & Fran sortirent timidement la tête de leur local et jetèrent un oeil sur la pile de gens au sol. Du sang partout. Des...des...des cadavres ou des gens évanouis? Fran jurait avoir vu un bras tout seul quelque part. Duke avait trouvé deux pieds ensanglantées. Fran se fît une nouvelle paire de bottes. Duke, un nouveau jacket.

"Tabarnak...Duke...combien de morts tu penses?"

"Je sais pas...entre 800 et 900 je dirais..."

Les deux se regardèrent avec le plus grand des sourires.

"On peut compter à nouveau!"

"Comment épelle tu Fun, Fran?"

"L-E-S-G-O-U-L-E-S!"

Les survivants jubilèrent.

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