mardi 11 avril 2017

Viser l'Arrêt Jordan

Barrett Richard Jordan est inculpé en décembre 2008 pour une histoire de drogue en Colombie-Britannique. Il ne sera déclaré coupable que 49 mois plus tard. Ses avocats ont alors été en appel en traitant, à juste titre, de délais déraisonnables. Et ils ont gagné. 5 juges contre 4 on décidé que presque 5 ans, ce n'était pas raisonnable.

On a alors choisi 18 mois de délais dits raisonnables pour les causes provinciales et 30 mois pour les cours supérieures. Plus longtemps, tout tombe, et on arrête.

Avant l'arrêt Jordan, pour demander l'arrêt des procédures, la défense devait démontrer que les délais étaient trop longs. Dorénavant, depuis juillet 2016, en fait, une fois le plafond dépassé, il est présumé déraisonnable et c'est plutôt à la poursuite de démontrer que ce n'est pas le cas. Depuis juillet 2016, près de 230 cas ont été présentés pour un arrêt Jordan, et ce, juste au Québec.

Luigi Coretti, l'ex-patron de la firme de sécurité BCIA, accusé de fraude, fabrication et usage de faux en 2012, s'en est tiré avec l'arrêt Jordan puisqu'accusé en 2012, et dont le procès ne pouvait se tenir avant 2018. Plusieurs Hell's Angels s'en sont aussi sorti ainsi.

Plusieurs raisons sont à citer pour les innombrables délais et l'une de celles-ci est le manque criant de juges et de salles d'audience.

Après les médecins, je vois encore un métier, très lourdement contingenté pour ma génération, à l'âge où nous étions étudiants, où le manque de poste est aujourd'hui criant.

Les dossiers sont aussi souvent plus complexes et les preuves plus volumineuses que par le passé. Les mégaprocès des dix dernières années ont aussi créé davantage de congestion dans les salles d'audiences.

Sivaloganathan Thanabalasingham bat sa femme en décembre 2011. En janvier 2012 aussi. Puis en mai. Cette fois-là. on choisit de la garder en prison. Il est dangereux. En juin, sa femme implore la cour de libérer l'agresseur. Elle jure qu'il n'y aura plus de problèmes. Le 11 août suivant, l'agresseur devient assassin. La femme de Thanabalasingham est retrouvée égorgée et poignardée au cou à de multiples reprises dans sa cuisine d'Ahuntsic. Thanabalasingham est arrêté et placé en détention. Ironiquement, il reçoit, avant son accusation pour meurtre, sa peine pour les voies de faits précédents. 12 mois en prison, tu auras, pour deux dossiers. Le procès pour le meurtre de sa femme devait débuter hier. Mais voilà, l'avocat de Thanabalasingham a plaidé l'arrêt Jordan. Voilà 56 mois que Thanabalasingham gît en tôle attendant son procès.

Son avocat, Joseph La Leggia, a prouvé que dès le départ, la toute première date offerte  (il n'a refusé aucune des dates proposée par les juges) était 31 mois plus tard que la mise en accusation de son client. Que la suite, n'a jamais été de son ressort.

Il n'est absolument pas garanti que Sivaloganathan Thanabalasingham ne sera pas réaccusé et que le dossier d'accusations ne soit pas réouvert. Il suffit de se rendre en appel, ce que la poursuite compte faire. Mais de toute évidence, une culture de l'échec se profile. L'extrême lenteur du système de justice au Québec est un grave échec. Et les avocats les plus rusés trouveront surement des moyens de ralentir ce qui est déjà affreusement lent.

On passera de la tortue à l'escargot. Et on visera l'arrêt Jordan.

L'ancien soldat canadien Adam Picard, accusé d'avoir assassiné un autre homme, a été libéré en novembre dernier et est devenu le premier accusé de meurtre, dont les accusations tombaient en raison de l'arrêt Jordan. 44 mois s'étaient écoulés entre l'accusation et le début du procès. La poursuite va en appel.

Ça donne des frissons dans le dos.

Sivaloganathan Thanabalasingham est passé devant la commission de l'immigration hier et sera renvoyé au Sri Lanka.

Aucun commentaire: