vendredi 2 février 2018

Saintes & Prières

Le désespoir peut prendre plusieurs formes.

Parfois il devient violence. Souvent. Les guerres sont une forme de désespoir.
L'abattement aussi.

Mohamed Bouazizi était vendeur ambulant tunisien. La vente de ses fruits et légumes était la seule source de revenu pour lui, sa femme, et sa famille de 7 enfants. Son rêve était d'un jour troquer sa charrette pour une camionnette. Mais pour avoir un tel permis, le gouvernement tunisien exigeait des pots-de-vins. Que le trop pauvre Mohammed ne pouvait payer. On ne lui donnait même pas le droit de tricher.  On se contentait de l'abrutir. On pigeait dans sa marchandise. On se sauvait avec sa caisse. On lui infligeait des amendes ridicules et on lui confisquait sa charrette inutilement. la restituant, bien souvent, largement pillée.
En décembre 2010, on lui confisque une fois de trop sa charrette. On le gifle quand il va se plaindre. On se plait à l'humilier le plus possible.

Tant qu'à vivre comme ça.

Mohammed choisit de se poster devant le gouvernat et s'immole. Bye bye life. Si seulement on peut appeler cela une vie.

Ce geste déclenchera le printemps Arabe en 2011. C'en est trop pour trop de monde.

Émilie Ricard ne s'est pas immolée cette semaine. Elle a toutefois immolé une certaine anonymité en publiant le visage (le sien) d'un large pan des infirmières du pays-qui-ne-veut-pas-l'être-encore. C'est "gratiss" notre système de santé qu'ils disent. Aussi bien en profiter. Et comme nous sommes dans une grande province de baby-boomers, ne croyez vous pas que ça se bouscule aux portes des hopitaux? J'y ai passé quelques longues heures le 9 janvier dernier. Dans un endroit qui ose se qualifier "d'urgence". Même pas un rendez-vous que je voulais. Un rendez-vous obligé pour des raisons de CSST. 11h50 à lire deux livres dans la salle d'attente. En écoutant une quinzaine d'albums sur mon téléphone. Il a fallu aussi me traiter pour un léger traumatisme.

Émilie Ricard est devenue virale en publiant un message de désespoir quand à sa condition d'infirmière en Estrie où elle s'occupe de 76 patients toute seule. Insensé. Ses larmes ont créé un lac de sympathie au Québec. L'arrogant et insupportable ministre de la santé Barrette a passé la semaine à faire face à la musique (bravo!) mais en donnant aussi toute les raisons pour lesquelles les nouveaux infirmiers/infirmières n'acceptent pas les conditions inhumaines proposées par sa réforme.

Entre vous et moi, que feriez vous, vous? un rôle partiel à 4 jours par semaine et un certaine qualité de vie ou une permanence avec obligation de faire des heures supplémentaires au risque de flancher comme la jolie Milie cette semaine?

Barrette a passé la semaine à lancer la phrase, comme si il fallait s'en outrer, que des postes sont disponibles mais les gens n'appliquent pas!

Comprends tu quelques chose, Docteur?

Les gens ne veulent pas de tes conditions de travail. Y a pas de travail qui méritent qu'on rentre à la maison brisé, abattu, ruiné mentalement. Émilie est humaine. Pas ses conditions. Qui sont des conséquences de la réforme Barrette.

Il y a des métiers au Québec qui ont automatiquement la sympathie du public. Dans ces métiers, les infirmiers, les soignants, particulièrement les infirmières, se retrouvent pas mal au sommet de la liste. Ces gens sont des saints. Le paradis sans confession. Ça prend toute une dose d'humilité, de générosité et d'amour pour faire ce qu'ils font. C'est de ça qu'on abuse et qu'on terni.
Jamais, de mon vivant en tout cas, quelqu'un de ministériel s'inscrivant en faux auprès des infirmières n'a gagné la sympathie du public dans ma province.

La plainte d'Émilie l'a prise par surprise. Elle ne croyait pas avoir autant de soutien de purs inconnus. Elle ne croyait pas devenir virale. Elle ne souhaitait que se débarrasser du chien noir qui envahissait sa tête.

Son cri du coeur était un doux cri de désespoir.

Et je doute que quiconque eût été séduit par le métier après le portrait qu'on en a fait cette semaine.

Et vous savez quoi? ce sont des problèmes d'abus qui existent depuis des LUNES!!!!!!!!!!!

Barrette a le culot de dire "qu'il faut lui donner un peu de temps".

Combien? 14 ans? Ce problèmes existait et était aussi criant en 2003. Dans 14 ans, Émilie en aura 40. Vous croyez qu'elle s'y rendra dans le même métier ? Pas moi.

Et ce sera tant mieux pour elle.

Sa confession de douleur était une prière pour des jours meilleurs. Pas juste pour ses patients, pour elle aussi.

Parce que les saintes ont le droit d'avoir un peu de paix parfois.
Pour mieux la redistribuer par la suite.

Courage mesdames, messieurs.

On vous claire ce gouvernement dans 8 mois.

Save a prayer for the morning after.
Les soleils doivent revenir dans tes yeux, Millie.

Aux autres aussi.

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